Écouter le culte :
Je vous salue, Marie !
C’est bien que je vous voie !
Avent après avent.
Noël après Noël, je vous sais là, au même endroit.
Comme les bergers et leur musette.
Et les anges dans nos campagnes.
Avec tout le respect que je vous dois, vous faites partie du décor, en quelque sorte.
Je vous dis « vous », parce que vous et moi, on ne se connaît pas ou si peu.
Notez que j’ai beaucoup entendu parler de vous.
L’inverse est peu probable, qui suis-je à vos yeux ?
Tandis que vous, tout le monde vous connaît ou presque !
Avec le temps, vous êtes devenue une véritable icône.
Et votre vie, une vraie saga.
Vos parents Anne et Joaquim.
Votre naissance.
Votre adolescence.
Votre grossesse.
Votre accouchement.
Votre ascension sociale, vous qui n’êtes partie de rien et qui avez fini Reine du Ciel : « Regina Coeli ».
Certains prétendent même que vous n’avez pas connu la mort, que vous auriez été enlevée au ciel, comme le prophète Elie.
Votre vie mériterait un article dans « Points de vue et images du monde » ou « Paris match ».
Ah ! si vous saviez tout ce que l’on dit à votre sujet.
Beaucoup trop, à mon goût !
À propos de goût, je ne connais pas les vôtres, mais à votre place, je ne serais pas très heureux de l’image que l’on vous prête.
Avez-vous vu ces images pieuses qui circulent à votre sujet ?
On dirait des vignettes panini.
Votre robe est immaculée et votre manteau bleu clair.
Votre visage est immanquablement laiteux, et votre regard presque absent, perdu dans vos pensées.
Votre tête toujours penchée vous donne un air compassé …
Et comme si cela ne suffisait pas, il arrive même qu’on en rajoute.
Ici, vous voilà avec un cœur transpercé et sanguinolent.
Là, avec la tête couronnée d’une auréole étoilée.
Savez-vous que l’on peut même acheter de vous des statues qui clignotent quand on les allume, comme les gondoles à Venise ; et je sais de quoi je parle, j’en ai offerte une à mon beau frère : il est pasteur à la Cathédrale… Notre Dame de Lausanne !
Vous êtes partout, ma parole !
Je vais être franc avec vous; je n’ai jamais été à l’aise avec ce que l’on dit de vous.
Ni avec l’image que l’on donne de vous.
C’est pour cela que longtemps je vous ai tenue à distance.
Respectueusement à distance.
Et je vous ai même évitée.
Ignorée.
À mes yeux, vous étiez trop parfaite.
Trop lisse.
Trop insaisissable.
Presque irréelle.
Comme si vous étiez descendue tout droit du ciel.
On vous appelle la Sainte Vierge.
Ou alors « notre Dame ».
On a fait de vous la mère de toutes les mères.
La mère idéale.
La mère suprême.
La Madone.
Alors que pour moi, votre prénom me suffit.
Je vous salue, Marie !
Je le reconnais, sans doute par paresse, très longtemps, je me suis contenté de l’image toute faite que l’on s’est faite de vous.
Mais lorsque je vous rencontre au détour des passages bibliques, je dois reconnaitre que vous apparaissez toute autre.
On a fait de vous une femme au-dessus de toutes les femmes, mais dans les évangiles, vous êtes tout ce qu’il y a de plus simple.
Sans vernis.
Sans paillette.
Sans auréole.
Si Dieu avait voulu faire « un coup médiatique » - comme on dit aujourd’hui –, il aurait dû choisir une origine plus éminente et une figure plus noble pour incarner la mère du Sauveur.
Mais vous êtes simple.
Vous venez du petit peuple.
L’Évangile vous présente comme servante.
Et cela vous va mieux que femme du monde.
Servir, c’était le lot des femmes, surtout dans les milieux campagnards d’où vous venez.
Et puis, ce qui est sûr, c’est que seule une servante pouvait accueillir en son sein celui qui allait devenir le serviteur suprême, Jésus le Christ.
Mais parce que vous êtes servante, on en a déduit, un peu hâtivement, que vous étiez servile et docile. Et il est arrivé que l’on fasse de vous le modèle de la femme serviable et soumise, du grand n’importe quoi !
Notez que moi aussi je vous ai longtemps cru gentille et obéissante, et je dirais même un peu « gentillette ».
Alors qu’à bien y regarder, tout au long de l’annonce solennelle que vous fait Gabriel, vous ne vous taisez pas, vous ne vous effacez pas.
D’autres à votre place, se seraient tues devant ce visiteur emplumé venu d’en haut.
Tandis que vous, vous osez interrompre ce visiteur divin, vous osez le questionner, lui demander des précisions.
Vous avez du caractère.
Loin d’être soumise et passive, vous avancez debout et résolue.
L’hospitalité que Dieu vous demande, il ne vous l’arrache pas, il ne vous la maraude pas ; c’est vous qui la lui offrez.
Vous êtes une femme libre.
Et ce n’est pas de la crédulité qui se dégage de vous.
Mais bien plus de l’audace et du courage.
C’est comme votre âge.
Que n’a-t-on pas dit de votre jeune âge ?
Parce que vous êtes jeune, on vous croit ingénue.
Innocente et naïve comme une « oie blanche ».
Prude.
Alors que vous savez tout !
Y compris de ce dont on ne parle pas en public.
Ni dans les églises ou alors pour faire de la morale à deux balles !
Vous savez tout !
Vous êtes à peine nubile, mais la procréation n‘a pas de secret pour vous !
Vous savez que pour enfanter, il faut d’abord connaître un homme. Le connaître au sens biblique.
Coucher avec lui.
S’aimer.
À propos de sexe et de sexualité; vous n’êtes pas sans savoir que tout ce qui tourne autour suscite de la curiosité mal placée.
Eh bien, c’est peu dire que votre vie intime a fait couler beaucoup d’encre.
Certains affirment même que vous n’auriez pas connu d’homme.
Je veux dire : jamais, nada !
Ni avant Joseph ni après.
Pas un !
Mais ceux qui le prétendent ne lisent pas bien l’Évangile.
Car Matthieu est clair, lorsqu’il précise que Joseph ne vous connut pas avant que vous ayez enfanté Jésus.
Avec beaucoup de délicatesse, Matthieu précise que vous avez eu avec Joseph une vraie vie de couple.
Je veux dire une sexualité.
Et je me plais à penser qu’elle a été épanouie.
Je vous salue, Marie.
J’ai longtemps eu beaucoup de peine à vous appeler Vierge.
Car nous continuons à faire de votre virginité une question de gynécologie et de génitalité.
Comme si l’incarnation se jouait à une affaire d’hymen.
C’est franchement navrant.
Pour moi, l’étonnant et le merveilleux de votre histoire se loge ailleurs.
Il est à chercher dans votre capacité à faire hospitalité à ce Dieu qui se fait homme.
Vous avez su accueillir Dieu, tel qu’il est.
Vous avez su mettre au monde ce Dieu imprévu et imprévisible.
Et je m’incline devant cette disponibilité du corps et de l’esprit.
Alors oui, je vous salue, Marie !
Votre histoire et votre personne me rappellent une vérité qu’il ne m’est pas facile à entendre: je ne peux pas accueillir Dieu chez moi, en moi, si je ne suis pas vierge moi aussi.
Vierge, comme l’est une feuille de papier immaculé.
Comment Dieu pourrait-il habiter en moi, si je suis encombré, chargé de toute sorte de dieux ?
Car je le sais trop bien, j’abrite en moi de nombreux dieux.
Comment Dieu pourrait-il habiter en moi si je suis plein et gros d’idée sur lui et sur ce qu’il devrait être ?
Cette virginité, je vous l’envie.
Et c’est elle que je veux retenir de vous.
J’aimerais être vierge comme vous.
Pour être capable d’accueillir Dieu en moi.
Et le mettre au monde.
Je vous salue, Marie, pleine de grâce ;
Le Seigneur est avec vous.
Vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni.
Et je bénis Dieu pour ce que vous avez été et ce que vous êtes.
Amen.